L’essai clinique NAMSAL, débuté en 2016, continue de livrer ses résultats sur la prise en charge des patients atteints de VIH dans les pays d’Afrique subsaharienne. Il confirme le dolutégravir comme traitement de choix, mais aussi ses effets indésirables sur certains patients, notamment les femmes, et la nécessité d’offrir des traitements alternatifs aux malades.
Jusqu’à la mi-2018, l’efavirenz 600 (EFV) était le traitement de première ligne recommandé contre le VIH dans les pays à revenu faible et intermédiaire, malgré ses effets indésirables potentiels, tels que des manifestations neurosensorielles, des cauchemars, de l’irritabilité et même de la dépression. « Il s’agit d’une molécule à laquelle 10 à 20 % de la population d’Afrique subsaharienne pourrait développer une résistance et la transmettre, en grande partie en raison d’un suivi biologique insuffisant des patients, empêchant de détecter les échecs thérapeutiques », explique Éric Delaporte, infectiologue à l’IRD au sein de l’unité TransVIHMI. Une réalité qui a conduit à envisager d’autres schémas thérapeutiques pour les pays du Sud. En 2015, l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) recommandait d’utiliser le dolutégravir (DTG) comme solution alternative.
« Ces recommandations se basaient sur des études menées dans les pays à hauts revenus, auprès de populations avant tout masculines et à un stade peu avancé de la maladie. Les résultats devaient alors être confirmés dans d’autres régions du monde, notamment en Afrique, où aucune étude n’avait comparé ces deux traitements, malgré des épidémiologies très différentes », décrit le scientifique.
« Les deux tiers de nos patients sont des femmes présentant un stade avancé de la maladie lors de la mise sous traitement. De plus, les souches de virus impliqués sont différentes dans les pays africains de celles des pays occidentaux », confirme Charles Kouanfack, épidémiologiste hospitalo-universitaire au Cameroun.
Un essai clinique au Cameroun
Pour lever cette part d’ombre, l’étude NAMSAL1 a été menée de 2016 à 2018 à Yaoundé, au Cameroun. 613 personnes vivant avec le VIH et n’ayant jusque-là jamais reçu de traitement antirétroviral, ont démarré, de manière aléatoire, des trithérapies combinant deux molécules avec une dose quotidienne de DTG ou une dose quotidienne de 400 mg d’EFV.
En 2019, après 48 semaines de traitement, la non-infériorité du DTG par rapport à EFV 400 a été démontrée dans les premiers résultats de cet essai clinique de phase 3 ouverte et randomisée. En outre, le DTG a présenté un risque d’apparition de résistance plus faible, ouvrant une opportunité thérapeutique intéressante. Cette molécule n’engendre pas de mutation de résistance chez le virus et laisse alors la possibilité, en cas d’échec, de se tourner vers d’autres traitements, tout en limitant le risque de transmettre un virus résistant à ses partenaires. Des résultats confirmés après 96 semaines de traitement.
Dès la parution des premiers résultats en 2019, l’OMS a mis à jour ses recommandations, proposant le DTG comme traitement de première intention et EFV 400 comme alternative.
Une décision corroborée par une analyse coût-efficacité. Celle-ci a montré que le traitement à base de DTG devrait être encouragé en Afrique subsaharienne car il offre des bénéfices de santé similaires à l’EFV 400 en termes d’années de vie gagnées et de qualité de vie, mais à un coût inférieur.
« De telles études sont incontournables dans le contexte des pays du Sud pour orienter les décisions de politiques publiques. Elles apportent des informations précieuses, complémentaires à celles de l’évaluation clinique, mettant en lumière les stratégies thérapeutiques qui apportent le meilleur bénéfice de santé pour un coût donné. De plus, elles intègrent le point de vue du patient, essentiel à prendre en compte dans l’évaluation des bénéfices de santé » explique Sylvie Boyer, enseignante-chercheuse en économie de la santé à l’université d’Aix Marseille. Avant d’ajouter :
« Ces études peuvent aussi jouer un rôle dans la réduction des prix des innovations thérapeutiques afin de les rendre accessibles aux pays du Sud, via notamment l’accélération de la demande et le développement du marché de médicaments génériques ».
Importance de la zone géographique des essais
À l’issue de quatre années de suivi des patients camerounais, l’efficacité à long terme et la sécurité des deux traitements ont de nouveau été réaffirmées. Mais un autre point d’attention, déjà décelé par NAMSAL, est confirmé : le risque de prise de poids se révèle être plus important avec le DTG qu’avec EFV 400, pouvant aller jusqu’au développement d’une obésité et d’un syndrome métabolique dans 15 à 20 % des cas. « Ces problèmes n’étaient pas du tout connus au Nord, soit parce que les populations étudiées n’étaient pas les mêmes, soit parce que les études menées par les fabricants en vue des autorisations de mise sur le marché n’étaient pas assez longues. D’où la nécessité de mener des études longues et sur les populations de tous les pays cibles », commente Éric Delaporte.
Pour les chercheurs, les enseignements sont importants. D’une part, les différences notées entre femmes et hommes confirment qu’une indispensable parité devrait être observée lors des essais cliniques. En effet, d’importants effets indésirables touchant les femmes n’ont dans ce cas pas été décrits chez les hommes. D’autre part, le dolutégravir est certes une molécule efficace qui permet de maitriser la charge virale à long terme et d’enrayer le développement de résistances, mais elle induit une amélioration de la santé mentale des patients plus faible. Ce sont les résultats évoqués par une nouvelle étude dédiée à l’évolution de la qualité de vie des patients, d’un point de vue à la fois physique et mental, et conduite auprès 192 semaines de traitement. Le DTG est donc une solution intéressante mais elle n’est pas adaptée à tout le monde, d’où l’importance d’ouvrir la possibilité aux patients d’accéder au traitement de première ligne comme aux solutions alternatives.